Demi journée de congé. Bien que j’adore mon job de prof de surf - passer ma journée sur la plage, avec ma planche, je ne pouvais pas demander mieux ! - j’étais bien contente de faire une pause. J’avais prévu de voir Jordan cet après midi là et, pour changer un peu de nos habituelles rencontres sur la plage, nous avions décidé de nous retrouver au parc. J’avais pris une douche en rentrant chez moi après ma matinée de boulot après un repas rapide - au moins j’avais mangé, ce qui constituait en soi un gros progrès - j’avais pris la direction du parc, faisant un détour par le Starbucks pour me prendre un café et saluer Kate qui y travaillait justement à ce moment là.

Je me trouvais donc à présent au parc, posée dans l’herbe, au soleil, à attendre l’arrivée de Jordan. Je l’avais rencontré il y a peu de temps, sur la plage, peu après son arrivée à Sydney. Mais il y a deux jours environ, j’en avais appris un peu plus sur lui, par Alexie. Il était son meilleure amie, ancienne aventure d’un soir… Et le père de Kenan, le magnifique et adorable petit garçon qu’elle élevait seule depuis 4 ans. J’avais ignoré, jusqu’à il y a quelques jours, l’identité du père de Kenan, car Alexie ne m’en avait jamais parlé avant. Et puis, il aurait fallu être doué pour le deviner, quand même. J’avais beaucoup de respect à l’égard d’Alexie, d’avoir été capable d’élever aussi bien ce petit bonhomme. J’adorais Kenan, il était vraiment adorable, et j’étais heureuse qu’il ait enfin l’occasion de faire connaissance de son père. Aucun enfant ne devrait avoir à grandir sans ses parents. J’avais perdu les miens à mes 13 ans et ils me manquaient énormément, ainsi que mon grand frère que je n’avais pas revu depuis 3 ans. Au moins Kenan, lui, aurait son père maintenant. C’était génial. Ma petite racaille des bacs à sable le méritait. J’adorais passer du temps avec lui, j’adorais les enfants, en règle générale. J’avais moi-même failli devenir maman il y a peu mais, pour des tas de raisons, j’avais avorté. Je me sentais incapable de faire ce que Alexie avait fait et pourtant, moi, j’avais eu le père à mes côtés.

J’étais donc perdue dans mes pensées, buvant tranquillement mon café en regardant les enfants jouer un peu plus loin dans le parc. Je me demandais bien ce qu’avait pu ressentir Jordan en revoyant Alexie… Ou en apprenant qu’il avait un fils de 4 ans dont il avait jusque là ignoré l’existence. Ca devait faire tout drôle. Je le vis finalement approcher au loin, facilement reconnaissable avec sa tignasse frisée. « Salut le p’tit mouton » Lui dis-je avec un grand sourire alors qu’il arrivait près de moi, restant assise par terre. Pourri comme surnom, je sais, mais sur le moment c’est tout ce qu’il m’avait inspiré. On fait avec ce qu’on a, n’est-ce pas ? « Tu m’auras pas posé un lapin finalement. » Remarquai-je, en référence à notre conversation sur facebook. Facebook, quelle invention hein ? Il faut reconnaitre que c’est quand même bien pratique parfois.

La situation n’avait pas toujours été facile ces derniers temps. Entre toutes me histoires avec Kai, mon petit ami, que j’avais pas mal fait tourner en bourrique, ma grossesse, suivie d’un avortement, et la découverte par mes amis -quelques uns en tout cas- de mes vilaines habitudes alimentaires… Depuis la mort de mes parents, tout allait de travers de toute façon. J’avais perdu mes parents, puis mon frère… Il me manquait, énormément. Il était la seule famille qui me restait et j’ignorais où il était, et même si il était toujours en vie. Mais je le retrouverai un jour. Il le fallait.

Au moins, il y avait un peu de calme en ce moment; J’avais trouvé un job qui me plaisait, lassée de servir des cafés chez Starbucks et d’en renverser en moyenne 3 par jour en plein milieu de la boutique, un changement d’air m’avait fait du bien. Prof de surf, c’était plus mon truc. Mais travailler avec Alexie, ma meilleure amie, me manquait. Enfin, je travaillais maintenant avec mon petit ami, et Liam, un très bon ami, alors ça compensait. Mon plus gros soucis, c’était Kai qui essayait de me faire passer mes mauvaises habitudes. Pas facile, d’ailleurs, de changer du jour au lendemain comme ça. Cela faisait 5 ans que ça durait. Mais au moins, je ne venais pas de découvrir que j’étais papa - ou maman, plutôt, dans mon cas - d’un petit garçon de 4 ans dont je n’avais absolument jamais entendu parler auparavant. Ca, c’était le cas de Jordan, le jeune homme que je saluait alors qu’il s’approchait de moi.

Je le saluais, le gratifiant d’un petit surnom plus que vaseux en référence à ses cheveux frisés, avant d’évoquer notre conversation sur Facebook, ce à quoi il répondit : « Hey petite brunette. Il faut croire que non, je ne suis pas si mauvais que ça finalement ! » fit-il remarquer en se posant à côté de moi. Je souris. En effet, il aurait pu me poser un lapin, mais non. S’il l’avait fait, ma vengeance aurait été terrible ! Je n’ai pas l’air impressionnante comme ça, mais il faut se méfier, faut pas croire !: « Ca va, toi ? » Demanda-t-il finalement avec un sourire, assis auprès de moi. « Ca va. » Répondis-je. Cette réponse était devenue automatique, même quand ça n’allait pas, c’est toujours ce que je répondais. Mais ce jour là, ça allait. A peu près en tout cas. J’avais été courir un peu, puis surfer, donner des cours… Une journée banale en somme. Mais un peu de banalité ça ne faisait pas de mal de temps en temps. J’avais même réussi à manger un peu, ce qui était un grand progrès pour moi. « Et toi, monsieur le jeune papa ? Ca fait pas trop bizarre ? » Demandai-je à mon tour. Lexie m’avait raconté ce qui en était de toute cette historie avec Jordan. J’avais jusque là totalement ignoré qui était le père de Kenan, Alexie ne m’en avait jamais parlé, ni à quoi que ce soit d’autre. Je ne lui en voulait pas, chacun avait ses propres petits secrets. Tout le monde avait besoin d’un minimum d’intimité, et il n’était pas utile de raconter son historie à tout le monde dans le détail. C’était l’arrivée de Jordan à Sydney qui l’avait poussée à me dire qui il était réellement. N’empêche, le monde est petit. Il a décidé d’aller étudier ailleurs qu’à Miami et parmi toutes les destinations que lui et son meilleur ami auraient pu choisir, il a avait débarqué à Sydney, littéralement le bout du monde ! Ce n’était plus mal. Kenan avait enfin un papa, lui qui n’arrêtait pas de me poser des questions auxquelles je n’avais aucun moyen de répondre quand je passais du temps avec lui.